mercredi 31 août 2011

Le Journal de Souad : Bonjour Solitude

(Photo Sébastien Van Malleghem)

L'aliénation.
Depuis des années, on nous parle d'évolution, on nous parle d’intégration, on nous parle d'éthique morale ou sociale.
Mais que sommes-nous réellement face à ceux qui font nos lois ?
Face à ceux qui représentent le peuple et à qui on s'abandonne ?
On pourrait imaginer que le milieu carcéral est devenu moins pesant.
Oui il y a la tv, oui il y a le téléphone, oui, aujourd'hui, le prisonnier peut parler à une assistante sociale, et même avoir congé, mais devant ce paradoxe n'est-il pas toujours et encore plus seul ?
Peut-on encore parler pour lui d'intégration après l'aliénation la plus totale, la plus profonde à laquelle il sera livré ?
J'ai choisi l’aliénation, car pour moi c'est ce qui correspond le plus au profil du prisonnier, car une fois tombé entre les mains de la justice (système), il sera tout à fait étranger à lui même et à la société.
Il sera pris dans une spirale négative, venant d'une confrontation plus intense avec la délinquance.
Comment le nier ?
Livré constamment à lui-même, ses actes ne refléteront plus le véritable personnage.
Où se situera vraiment la raison, par rapport à un être isolé, banni, exclu ?
Le système crée des délinquants à long terme, il n'oblige pas un toxicomane à se soigner mais à purger une peine de prison ; et ce qui l'avait conduit à la toxicomanie, n'était-ce pas déjà une forme de prison morale ?
Pourquoi occulte-t-on ces aspects ? A qui cela profite-t-il ?
Le statut social, les cultures, les religions y contribuent, à une autre échelle.
Mais le mal est plus profond.
La société exclut, se débarrasse de ceux qui ont dérapé.

Overdose.

17 juin 2011, 01h12mn
A l' heure à laquelle on s'occupe de toi, moi je m'occupe d'eux,
Alors que tu joues à la poupée, je joue à la maman.
A l'heure où les plus grands t'inculquent les règles du monde,
Moi on m'apprend à transgresser.
J'ai dix ans lorsque j'aide mon frère pour son « fix », pas plus haute que toi,
Je sais ce que veut dire overdose, je sais ce que veut dire cure de désintox.
A l'heure où tu as le droit de dormir, moi je guette, j'ai peur que mon père plante ma mère,
Que mon frère meure, que ma sœur ne revienne plus,
Et à l'heure qu'il est j'ai la rage, celle contre ce système, contre l'immigration, contre l'amour,
Contre tout.
Je n'ai plus peur,
Je saigne, je ne revendique rien, ou plutôt tout.

Mous.

Quand un jour vous rencontrez une personne qui vous touche profondément et que vous souhaitez de tout cœur l'aider matériellement ou socialement, faites le sans tarder, car on ne sait jamais ce que la vie nous réserve.
Bien sûr, ce sont des phrases courantes, faciles à prononcer mais, justement, difficile d'en réaliser le sens quand on n'a pas connu Mous.
Ce garçon m'a touché, juste sa propre personne, même sans parler.
Il avait un regard tellement profond et anéanti, aussi profond que des plaies encore ouvertes, saigné par la vie et même en la quittant, ce fut dans des circonstances touchantes et tristes.
L' humanité, juste la fraternité ou probablement l'amour t 'aurait sauvé, n'est-ce pas Mous ?
Je te rejoins en cet instant, au moment où j'écris ces lignes, je sens ou plutôt ressens très fort le souvenir d'un frère, je te demande pardon de ne pas m' être investi à ton égard très cher ami.
Je me souviens du jour où l'on s'est rencontré, je le décris de la sorte puisque tu étais un ancien voisin.
Je ne te connaissais pas, ou plutôt, j 'étais trop jeune, vous avez déménagé et vécu autant de misères, sinon plus que nous.
Je me souviens que nous avons marché en groupe pendant un moment à partir de la maison de ma mère et qu'au retour nous étions à deux depuis un long moment.
Tu m'as touchée : ta pudeur, ta fragilité et cette transparence.
Je te le dis, je te l'écris d'aussi loin que je suis de toi, tu m 'as apporté énormément.
Je venais de perdre ma sœur et des heures durant, nous avons parlé de la mort.
Nous étions loin de nous douter que ton heure n'était pas loin.
Je veux te rendre hommage, je sais quelle a été ta douleur lorsque tu voyais ton frère passer en voiture avec ostentation, gaver les filles de resto.
Ton âme repose en paix cher frère, je souhaite que la miséricorde du Tout Puissant t'enveloppe et que l'amour tant attendu te soit à jamais légué.
Je joins ta dernière lettre à ce texte et si je le fais c'est pour que la conscience de la fraternité s'élève.
Mous ne doit pas être mort en vain.
Il est né en Belgique, commune d'Ixelles, ses parents sont décédés après son expulsion pour une durée de dix ans au Maroc, et combien ont vécu ce drame !
Je me suis lié d'amitié avec lui en juillet 1991, il était venu voir un de mes frères.
Tout de suite, le courant est passé et, naturellement, il m a raconté son parcours,ou pire, sa déchéance.
L'expulsion touchait à sa fin, il m'a demandé avec beaucoup de mal "j ai besoin que tu me rendes un seul service : peux-tu te rendre à la Commune d'Ixelles et m 'envoyer un extrait d'acte de naissance stp" ?
Comme cela m'a semblé dérisoire, j'ai été outrée que personne ne lui ait rendu ce service.
En septembre je lui ai fait parvenir ; il en avait besoin pour lancer la procédure de retour vers ce qui était son pays. De quel droit lui a-t on fait subir cela ? Justice médiocre, justice honteuse, justice hypocrite qui crée l'injustice.
Il devait rentrer, revenir après avoir été marginalisé pendant dix longues années...
J'ai mal pour lui et pour tous ceux qui ont perdu énormément durant la jeunesse, ceux qui n'ont pas eu droit à leur deuxième chance.
Si la criminalité a des degrés différents, les peines appliquées à l'époque étaient inadaptées.
Cruel : si on t 'expulse , on te tue.
Bien sûr que l'on peut vivre ailleurs, bien sûr que l'on peut aimer ailleurs.
La question est : où est la justice, celle des hommes, celle que l'on applique ? Reste la certitude que celle des années 80 fut un massacre : la jeunesse en a payé le prix fort.
Je pourrais écrire des heures durant de cas semblables, peut être pire que celui de Mous, mais c'est lui que je retiens, c'est lui qui m 'a touchée et lui qui me lançait des regards de détresse.
Je n'ai pas été à la hauteur de tes attentes, je compatissais mais je n 'ai pas fait grand chose.
Juin 1992,
Ma sœur est décédée depuis une année ; je supplie ma mère de me laisser partir deux semaines.
Elle accepte ; ma meilleure amie fait le voyage avec moi.
Nous nous entendons très bien et c 'est la première fois que nous voyageons ensemble. Elle a quelques appréhensions car elle est d'origine italienne et le Maroc c'est la première fois.
Là-bas , je contacte Mous et je le convie à nos sorties. Il nous accompagnera deux fois. Je le sens différent de tous ceux qui nous entourent mais je veux qu'il change d 'ambiance.
Nous nous reverrons en juillet 93.
Lors de cette rencontre sur le seuil de la maison de ma mère, je suis différente. Il le sent, nos regards se croisent, nous nous parlons brièvement, mais je suis contrainte d'être distante, je me suis fiancée et c'est compliqué. Je regrette ce moment, cette scène m 'a souvent hantée.
Cette hiver-là, tu es mort, tu es parti, je souhaite que tu n 'aies pas souffert.
Jamais je ne me pardonnerai mon attitude, je te demande pardon.
Pour toi.
Douceur de ton empreinte dans ce monde effréné.
Fragilité de ton regard en même temps dépassé.
Etais-tu ailleurs de par ta douleur ?
La nuit de ta vie embrassait nos jours cher ami.
Sache qu'à jamais tu restes ce petit cadeau, cette parenthèse dans ma vie.
Pas d'adieu pour toi, car au plus profond de moi tu vis.



Bonjour Solitude.
Je suis prête pour être à nouveau avec toi
Je sais tu es revenu me chercher même si j'ai essayé de te fuir
Peut-être que tu es mon destin
Peut-être que je t'aime
Peut-être que je ne dois jamais faire sans toi
Il y a des petits morceaux de moi qui te détestent et d'autres qui ne connaissent que toi
Je t'entendais ricaner lorsque je pensais te quitter et tracer au fil des jours la distance
Mais ce sont des scénarios de ma vie, tu es l'une des principales figurantes
Alors, solitude, pour combien d'années es-tu là ?
Cela faisait trois années pour deux mois
Il y a des entailles dans mon cœur
Des bonheurs mais pourquoi ton retour ?
Tanger, août 2010



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