mercredi 28 mars 2012

Le Journal de Souad : première incarcération

Photo Marcel Mussen

Ils ont débarqué, une perquisition dans les formes, je sais pas si j'ai 13 ans ou un peu plus.
Le soleil est là mais ma mère n'y est pas, mon père n'est plus là non plus depuis quelques mois, cette fois c'est définitif.
Je regarde du balcon mon frère menottes dans le dos ; il est jeune, je me souviens que c'est sa première détention, même s'il n'est pas majeur.
Il se retourne car il sait que je regarde.
Son regard du départ, son regard du « au revoir », son regard que je ne veux plus voir dans mes cauchemars.
Ils sont stationnés dans la petite ruelle face à la maison.
Je ne me souviens cette fois-là que de lui, de sa démarche avec eux.
Il portait un pull coloré, son visage était encore celui d'un enfant malgré son mètre quatre-vingt six.
Je me souviens de cette peur qui fut la mienne en ce jour qui s'achevait mal.
Il s'achevait mal, c'est sûr, car même si le soleil était là, présent, c'était fini pour nous.
La pénombre, peut-être même l'obscurité, allaient s'installer.

Ma mère rentrera du boulot et apprendra la nouvelle, chaque personne de cette famille vivra son propre scénario.
Qui fera semblant ? Qui critiquera ? Ma mère se réfugiera dans ses médicaments et nous, on aura peur ; pourtant, jamais elle nous a laissés tomber.
Mais ce sentiment m'a terrorisée.
Elle s'est levée chaque matin et a travaillé tellement dur.
J'ai toujours eu peur d'avoir ta vie, mais comme j'envie ton courage, car moi je n'ai pas de force physique, je me suis laissé anéantir.
Mon corps est épuisé maman.
Discussion des uns et des autres : il sera là demain, il est mineur, oui mais c'est pas sa première arrestation...
Je ne sais pas à quel moment le sommeil me fauchera.
Il ne sera pas libéré, il ira à la prison de Nivelles.
Je fais mes premiers pas seule vers cette prison. Comme il est mineur, c'est là qu'il est incarcéré.
Le juge se veut sévère : le punir, donner l'exemple. Même ce mineur dealer sera puni à la hauteur de son délit.
Laissez moi rire : qui de vous a proposé, ou même obligé, que l'enfant dealer entre en cure de désintox ?
Depuis quand il se drogue ? A 15 ans, vous le déposez aux bancs des accusés et niez sa toxicomanie. Quelles alternatives pour le consommateur ?
Voler ? Se prostituer ? Ou dealer ?
Un consommateur de cette zone n'est pas un dealer. Les dealers ce sont ceux qui se sont enrichis et ont incité à la consommation en laissant des quantités tourner dans nos quartiers, ce sont ceux qui permettent que la dope tourne en taule. Ce sont ceux qui vendent et ne consomment pas.
A combien d'audiences nous avons assisté, au cours desquelles vos légistes les avaient expertisés et déclarés "non consommateurs".
La réalité, c'est qu'on préfère condamner au lieu de pousser à la guérison.
La vérité elle est dans nos mémoires, dans nos cœurs, elle demeure dans leurs corps et a rongé leurs cerveaux.
Toute la marge sociale, raciale, se situe là, il suffit d'ouvrir les yeux.

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