mercredi 17 avril 2013

Pourquoi se suicide-t-on plus dans les nouvelles prisons ?

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 Pourquoi se suicide-t-on plus dans les nouvelles prisons ?


Après Lyon-Corbas, la toute nouvelle prison de Nantes connaît une inquiétante vague de suicides. Explications.
Pour la troisième fois en à peine trois semaines, un détenu est mort, jeudi 11 avril, après s’être pendu dans sa cellule de la maison d’arrêt de Nantes. Le jeune homme de 23 ans originaire de Nice, où il purgeait à l’origine sa peine, venait d’être emprisonné pour avoir dérogé à son régime de semi-liberté. Il a été interpellé pour évasion début mars à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) et incarcéré à Nantes.
La maison d’arrêt de Nantes est flambant neuve. Une douche dans chaque chambre, un gymnase et un terrain de sport dans son enceinte, des conditions sanitaires et de sécurité présentées comme exemplaires... Inaugurée en juin 2012 pour remplacer la maison d’arrêt insalubre et indigne en plein centre de Nantes, elle figure parmi les « usines carcérales », construites pour faire face à la surpopulation.
À peine ouverte, cette gigantesque maison d’arrêt était pourtant déjà saturée. Des 570 places prévues initialement, la capacité a été montée au moment de l’ouverture à 610 avec l’installation de lits superposés dans certaines cellules. Depuis, des matelas ont été disposés sur le sol pour accroître encore le nombre de détenus.

Déshumanisation

Pour maximiser les précautions de sécurité, les lieux sont construits comme une multitude d’alcôves, entre lesquelles il est plus long et plus difficile de circuler que dans les vieilles prisons. « Tout est pensé autour de la seule et unique question de la sécurité, peste Alexis Grandhaie de la CGT pénitentiaire. Ces prisons sont construites pour accueillir le maximum de détenus avec le moins de surveillants possible. Il y a plus de portes, plus de grilles, plus d’alertes, etc. »

Aux fenêtres, des épaisses grilles en fer - les « caillebotis » - resserrent le champ de vision et empêchent les détenus de passer la main. Impossible aussi d’y passer les « yo-yo » qui permettent, dans les vieilles prisons, de faire passer des objets de cellule en cellule.

Isolement

Dans ces nouveaux locaux, le contact entre surveillants et détenus est distendu. L’ouverture des portes est partiellement automatisée et tout le monde communique par interphone. « Nous n’avons plus aucun contact avec les surveillants, raconte Camille Cohignac, bénévole au Génépi, qui intervient chaque semaine pour un atelier d’arts plastiques dans la maison d’arrêt. À l’entrée, ils sont derrière une vitre fumée et tout est automatisé. »
Les nouvelles normes de sécurité coûtent beaucoup de temps aux gardiens, dont le sous-effectif, déjà criant, s’est aggravé. « Les sorties de cellules sont limitées, car chaque déplacement prend beaucoup de temps, avec moins de personnels », raconte Charles Bodreau, président de l’association Génépi, qui intervient en prison. Or, « ce qui pèse le plus sur les détenus c’est de se retrouver seul avec son codétenu, explique Alexis Grandhaie, pas d’être en contact avec les surveillants ».
Les cellules insonorisées qui accentuent le sentiment d’isolement, les douches à l’intérieur des chambres qui privent les détenus d’une sortie supplémentaire : dans ces prisons toutes neuves, on regretterait presque « l’humanité » des vieilles prisons insalubres. « Les nouvelles prisons sont aseptisées, hygiéniques, ajoute « Milko », de l’association Ban public, qui comptabilise 21 suicides ou morts suspectes depuis le 1er janvier 2013. Elles sont souvent éloignées des centres et mal desservies par les transports en commun. » Détail symbolique, le numéro de réservation des parloirs a été cédé à Bouygues. Il est aujourd’hui facturé 0,15 centime la minute aux familles.

Sombre palmarès


La prison de Lyon-Corbas, ouverte en 2009 à 20 km de Lyon est devenue un triste emblème de cette modernité à double tranchant. En 2011, on y dénombrait 8 suicides sur un effectif de 898 détenus (pour 680 places) et 8 nouveaux suicides étaient à déplorer en 2012 dans cette énorme maison d’arrêt où les personnels dénoncent un sous-effectif criant. Des chiffres qui en font la prison la plus touchée de France, avec un « ratio » cinq fois supérieur à la moyenne nationale. Pour autant, faire de ces nouvelles prisons un facteur de suicide serait une erreur, prévient Alexis Grandhaie de la CGT Pénitentiaire. « Dans l’ancienne prison de Nantes, personne ne se suicidait, parce que les détenus étaient 4 ou 7 dans des cellules de 15m2 à 20m2. C’était indigne et infâme. Dans les quartiers arrivants, nous enfermions jusqu’à 6 détenus par cellules certains week-ends, aujourd’hui, ils sont seuls : c’est nécessaire, mais c’est là qu’il y a le plus gros risque de suicide. »
Les suicides en prison ont surtout un faisceau d’explication qu’il faudrait d’urgence prendre à bras le corps. « En France, le risque suicidaire en détention est l’un des plus élevés d’Europe, pourtant aucune étude sérieuse n’est menée », peste Pierre Victor Tournier, spécialiste de démographie pénale [1]. Il n’y a pas de réflexion au niveau architectural » [2].
Parmi les facteurs identifiés, en dépit du manque d’études sérieuses, nous savons que les risques de suicide sont plus élevés parmi les délinquants sexuels et que les prévenus (en attente de procès) sont beaucoup plus touchés que les détenus (condamnés). « Nous avons aussi observé en comparant les pays européens que le risque d’évasion et les risques suicidaires varient de façon inversement proportionnelle. Les établissements desquels on ne s’évade jamais connaissent des taux de suicide élevés », ajoute Pierre Victor Tournier.
Les plans de prévention - du « kit anti-suicide » proposé aux détenus sensibles en 2009 aux « codétenus de soutien » testés depuis 2010 - n’ont pas permis d’enrayer le triste phénomène. La surpopulation, doublée d’un manque de surveillants, reste donc pour les observateurs le principal enjeu face à un mal par ailleurs complexe et profond. Et derrière cela, la question posée est celle d’une politique pénale offrant trop peu d’alternatives à la détention.

[1] Pierre Victor Tournier est directeur de recherches au CNRS et chercheur au Centre d’histoire sociale du XXe siècle, à l’université Paris I Panthéon Sorbonne, auteur de « La PrisonUne nécessité pour la République », Buchet Chastel, 2013, 264 p 19€.
[2] Selon les chiffres du conseil de l’Europe, la France dénombrait en 2007 14,6 suicides pour 10 000 prisonniers contre 9,9 en moyenne sur l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe.

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