dimanche 30 juin 2013

Je souhaite du profond de mon âme que la justice puisse enfin me voir comme un être humain


Une lettre de Nordin Benallal

Je me permets de vous adresser ce courrier afin de vous faire part de mon désarroi et de l'impasse dans laquelle je me trouve...

En effet, je suis incarcéré depuis 1997 et si l'on s'en réfère à ma fiche d'écrou, l'expiration de la totalité de mes peines est prévue pour le 23/08/2055 et une surveillance électronique n'est envisageable qu'à partir du 18/07/2026 (dans le cas où j'aurai pu bénéficier de mes congés dans les temps, ce qui est rarement le cas...).

A la veille de mes 34 ans, il m’est difficile, voire insupportable d'imaginer que je ne pourrai pas commencer ma vie d'adulte avant d'avoir atteint mes 47 ans, que mes parents ne seront peut-être plus là pour m'accueillir le jour où je serai libéré, que tous mes neveux et nièces nés pendant ma détention auront probablement un ou plusieurs enfants, que les amis que j'ai laissés dehors en étant gamin auront, pour la plupart, construit leur vie, auront un travail, une famille et des enfants, etc... en sachant qu'il n'est même pas certain que je vive suffisamment longtemps pour accomplir cette peine et, éventuellement, assister à tout ce que je viens de vous décrire...

Il va sans dire que ce n'est pas en prison que je peux préparer un plan de reclassement, ni une réinsertion digne de ce nom. J'ai pourtant souvent essayé de mettre mon temps de détention à profit, en suivant diverses formations organisées en prison ou, depuis que je suis en mesure d'isolement complet, en suivant des cours par correspondance mais cela n'est pas suffisant... Coupé de la réalité extérieure depuis bientôt 16 ans, le seul lien qui me permet de rester en phase avec la société actuelle est la visite régulière que je reçois de ma famille.
Les seuls à savoir et à penser qu'il est encore possible pour moi de construire ma vie sont mes parents et mes frères et sœurs; sans leur soutien, je ne serais pas aujourd'hui, dans une cellule, à vous écrire mes derniers espoirs de démarrer une "nouvelle" vie, avec votre aide et votre compréhension.

Contrairement aux idées reçues, je pars du principe que "qui casse paye", ce qui signifie que je reconnais et assume avoir été un délinquant d'habitude et qu'il était inévitable et normal que je paye pour mes erreurs mais fallait-il pour autant que je sois condamné à plus d'un demi siècle de prison, quand on sait que chez nous, en Belgique, la perpétuité équivaut à 30 ans de réclusion.

Pendant une dizaine d'années, ce qui me permettait de supporter la détention était la perspective d'évasion, ce que je n'ai pas manqué de concrétiser à maintes reprises...
Mais avec le temps et la maturité, j'ai appris à mes dépends, que mes évasions m'offraient certes quelques temps de liberté mais une liberté très éphémère, puisque sans perspective à long terme.

Je souhaite du profond de mon âme que la justice puisse « enfin » me voir comme un être humain, qui ne demande qu'à se faire oublier et à reprendre une place au sein de la société.

La situation dans laquelle je me trouve est purement et simplement inédite: je suis en régime de sécurité particulier individuel, ce qui signifie que je suis isolé quasi 24 heures / 24, que je ne sors de ma cellule que pour prendre ma douche quotidienne , téléphoner ou rencontrer ma famille au parloir.

Pourtant la loi de principe dit qu'on peut mettre une personne en mesure particulière pour le bien-être et la sécurité de l'établissement, en cas de risque d'évasion... et que, si aucun élément ne vient étayer les risques ou les rumeurs d'évasion, il est impératif de remettre le détenu en régime de détention "ordinaire".

Hors depuis 2010, tous les deux mois ce régime est renouvelé à mon égard et sans qu'aucun élément nouveau ne vient justifier une prolongation de ce régime (que du contraire !).

Cette lettre a pour but d'attirer votre attention sur un dysfonctionnement de l'institution judiciaire (en matière carcérale). La Direction Général Des administrations pénitentiaires s’obstine à me maintenir dans ce régime d'isolement. En effet, selon la direction générale, je représenterais un risque élevé d'évasion dû au fait de l'éloignement extrême de la date de ma possible libération conditionnelle.

D'autre part, toujours selon la loi de principe, je pourrais, en théorie, introduire une demande de libération conditionnelle après 14 ans de détention. Pour cela, je dois proposer un plan de reclassement, qui me permettrait d’entamer un processus concret favorisant ma réinsertion.

Malheureusement, vu mon régime de détention, il m'est impossible de mettre en œuvre un tel plan, étant données les restrictions extrêmes dont je fais l'objet depuis bientôt 6 ans!

Aujourd'hui, je souhaiterais sincèrement pouvoir aller de l’avant, tourner la page sur un passé dont je ne suis vraiment pas fier et pouvoir me racheter auprès de la société, en y intégrant une place de citoyen... La mienne !

Avec l'aide de ma sœur, qui a co-fondé une association de lutte contre le décrochage scolaire et de prévention de la délinquance. L’asbl DéClik dont je suis également administrateur, j'espère pouvoir utiliser mon expérience d'ex-délinquant à bon escient et pouvoir, ainsi, éviter à d'autres jeunes de basculer dans la délinquance et toutes les conséquences qui en découlent.

En vous remerciant très sincèrement de l'intérêt que vous aurez porté à mon courrier et en espérant que ce dernier vous aura convaincu de la nécessité de prendre des dispositions positives et constructives afin de m’aider à sortir de ce cauchemar interminable.

Je vous prie d'agréer mes salutations respectueuses.

Nordin BENALLAL

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